mardi 12 mars 2013

De l'inconvénient d'être un Erasmus

Avant mon arrivée à Cluj, je me demandais si j'arriverai, lors de mon séjour, à discuter avec des roumaines, à apprendre de leur culture. Lorsqu'on est étudiant Erasmus, parqué dans un complexe étudiant étranger, il peut être très facile de ne parler à aucun roumain pendant quatre mois. Pour éviter cet erreur, il suffit de sortir un peu de chez soi.

        "In Romania, we don't know how to conserv wine. We buy it and... we drink it!". Isvan.
 
     Penché maladroitement sur facebook, tôt le matin avant mon départ pour Cluj (depuis Beauvais...), Edith, une femme de l'ESN (Erasmus Social Network: des volontaires roumains aident les étudiants étragers à s'intégrer), lance une discussion pour m'aider à bien m'installer. Elle m'invite directement à une fête dans la biliotheca Janica, piata Unirii. Je me suis dit : "chouette, je vais déjà rencontrer des roumains et des Erasmus!". En fait, je me suis paumé (déjà, le nom "bibliotheca" me déroutait et je me voyais faire la fête au milieu des livres) autour de la Piata Unirii, étant passé par le café Janis, non loin de la place (différent de Bibliotheca Janis...). Bref une mésaventure qui  n'a pas vaincu mon énergie ; j'acceptai, de fait, une invitation à l'anniversaire d'Edith, dans le bâtiment des artistes, le vendredi suivant. Je dois dire que j'ai été agréablement surpris! La fête en elle-même n'avait rien de différent d'une fête à la française. J'ai tout de suite rencontré Isvan, un garçon très gentil et sociable. Ayant étudié les langues, il m'a émis sa théorie sur les langues (me racontant, entre autre, que parler roumain est plus difficile que de parler russe, mais j'en doute...) ; il est très conscient de l’enculage qu'a subi la Roumanie par presque tous les empires du monde et sait aussi que le vin roumain peut être... dégueulasse  (mais j'ai goûté le "Larmu di Ovidiu", un vin blanc qui me rappelle agréablement l'hydromel). Bon du coup il ne reste plus qu'à dire, comme lui :"drink like a Romanian!" (je crois, quand même, que les polonais remportent la palme d'or de la buvette, avec leur vodka cul-sec par trois fois).

                          Pour information je n'ai pas encore fini une seule fois ivre depuis trois semaines, un exploit pour un Erasmus en Roumanie. En revanche, j'ai fait plus de bars et de boîtes qu'en 6 mois à Bordeaux.
                                       
Cool girl and Cool guy

                 Quand on rencontre un  roumaine ou une roumaine, il faut serrer la main (cela me convient, je j'aime pas faire la bise à une inconnue). En revanche, dès qu'on s'aime bien, on passe tout de suite aux câlins! Il y a ainsi beaucoup plus de contacts que dans un pays comme le Canada ou la France. Donc si tu es un ours et ne supporte pas le contact physique, il vaut mieux prévenir la gente roumaine.Globalement, je n'ai rencontré que des Roumains de la fac d'art ou de l'ESN. Je suis impressionné par le nombre de langues qu'ils peuvent parler, parfois (une quadrilingue russe-français-anglais, j'aimerais devenir comme ça un jour... ; on encore les roumaines de l'ESN qui parlent aussi couramment trois langues, avec un accent impeccable).  En France, s'exprimer en anglais est un exploit pour ceux qui ne voyagent jamais (à 18 ans, je ne parlais que très peu anglais...). Parmi les jeunes on retrouve la culture occidentale (les mêmes musiques commerciales... arg et la culture facebook), à la différence que ceux-ci sont beaucoup plus ouverts sur les cultures étrangères, ainsi qu'à leur propre culture!

          Je me suis souvent demandé pourquoi les français sont si fermés. Ce n'est pas qu'une question de médias médisants ; ma théorie (vous avez le droit de ne pas être d'accord), c'est le passé glorieux que porte la France en elle, et qui d'ailleurs fait fantasmer à l'étranger. La France souffre de son histoire parce qu'actuellement, elle n'a plus rien à avoir avec sa tradition (je l'entends en un sens social, on a très bien conservé notre nourriture ainsi que certains trésors patrimoniaux). les français se croient toujours supérieurs par et pour l'Histoire, à travers une ignorance de son propre passé, paradoxalement, que l'on oublie dans les écoles,  jusqu'à ne plus honorer son drapeau (tout comme moi, mais c'est un problème personnel). Cette ignorance conduit inéluctablement à une confusion sociale. Maria, une étudiante en art, a pardonné cette attitude française par argument du poids historique (concernant, surtout, la méconnaissance des humanités roumaines dans les universités françaises ; alors qu'en Roumanie parler aussi bien d'Eminescu que de Balzac dans un cours est tout à fait normal). Petra, étudiante en littérature, plus saillante, s'est offusquée de l'absence d'auteurs roumains dans les universités françaises. L'argument de Maria sert tout autant, en fait, ma thèse.
   La Roumanie, pays plus modeste, incite sa population à une ouverture d'esprit. La France regorge de paysages ô combien diversifiés et magnifiques, mais a acquis avec le temps, ou a hérités d'une fermeture d'esprit qui me gêne, dégradant l'enseignement de la littérature ou de la philosophie. Faire un master de philosophie par tradition cartésiano-positiviste me gêne. N'étudier que la littérature française me gêne (et pourtant, que sa langue est belle!). Nous avons tout à apprendre de Kierkegaard, éminent auteur danois oublié dans nos bâtiments français, ou d'Eliade, historien roumain. Et nous avons à apprendre des jeunes roumains , tout autant que des personnes plus âgées, rurales. Pour cette dernière découverte, je n'ai pas encore fait de promenade personnelle dans des coins reculées, cela viendra avec le temps.

                         Petite pause de satisfaction très française : j'aime quand un étranger me parle français. C'est flatteur (on oublie un instant l'anglais pauvre des bouches à la sauce Ketchup).
La bière Timisoreana comme point focal


 Côté boissons:
- Les bières roumaines sont tout à fait appréciable. Moi qui n'aime pas la bière brune, je fais une spéciale dédicace à l'Ursus Black, plus que goûteuse.
- Je n'ai pas encore goûté la Tuica (alcool de prune). En revanche, la Palinka (qui peut ressembler à de la vodka), est très apprécié des roumains et des Erasmus. Contrairement à la vodka, elle n'est pas vendue industriellement, et ne s'achète que dans les marchés, surtout à la campagne.


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 En ce qui concerne le titre du blog,  être Erasmus peut vite devenir superficiel si on ne se concentre que sur les fêtes, et même sur certains voyages. Nous sommes, néanmoins, beaucoup à être intéressés par le côté dangereux, imprévisibles de certains voyages, contrairement à l'ennui touristique des promenades amères. Etre Erasmus "donne des ailes", comme m'a dit une française, et l'on vit beaucoup plus intensément les choses (je voyage, je sors, je réfléchis, je travaille : tout ça à la fois) ; je prévois déjà une grosses dépression en rentrant dans le quotidien français, dans 4 mois.

jeudi 7 mars 2013

De Napoca au concept de Ville. Expérience d'atmosphère.

Encore faut-il rappeler que nos terres françaises, si belles qu'elle soient, furent écrasées par le "péri-urbanisme" (mot de ma chère Lise), étalant sans cesse la maladie citadine au-delà des frontières raisonnables, au gré de panneaux publicitaires déchainés accompagnant le désespoir des automobiles le long de la route?

  On dit (dans la mesure du dire), que chaque premier jour dans un pays a une saveur particulière, vers une intensité peu fréquente. Je voudrais commencer cet article avec l'atterrissage ; car chaque atterrissage dans un nouveau pays contient lui aussi une originalité. Par-delà les hublots, l'on peut déjà deviner le dépaysement qui nous attend (...). L'attente délivrée vient avec la phrase fétiche du pilote : "nous allons atterrir" ; alors qu'à Pékin, la réaction a été plutôt : "quoi? Nous allons atterrir alors que nous sommes encore dans les nuages ?"(en fait, c'était un nuage de pollution rasant la cime des immeubles) ; ici, l'émerveillement dévoilait déjà ses promesses, car je  voyais ces collines à perte de vue, m'évoquant des paysages sibériens, parsemés de quelques flaques enneigés, qui tachetaient la verdure des champs. Devant ce spectacle, je ne pouvais m'empêcher d'éprouver quelques larmes de joie, car en dehors de Cluj-Napoca il n'y a RIEN de citadin. Je pouvais déjà le deviner, vue du ciel, sans n'y avoir jamais posé les pieds.

Cluj-Napoca, vue de la forêt Hoia
  

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"Qu'il est beau, ce monde capitaliste, ces parfumeries où l'on se sent bien". Une française un peu trop française à propos de la France.

  Une question advient : "comment se fait-il que Cluj-Napoca contienne autant d'habitants que Bordeaux, et soit moins étalée?". Hélas, c'est une questions à laquelle je ne puis  répondre que partiellement. Cluj ne m'a pas dépaysé, étant habitué à des pays comme l'Egypte ou la Tunisie, mais sa présentation diffère totalement des villes françaises. Ici, les immeubles ternes côtoient les maisons traditionnelles ; les routes propres épousent maladroitement des trottoirs défoncés. Mais quel bonheur cette absence d'esthétisme à tout-va - caractéristique des pays comme la France, où le "bien fait" circonflexe les âmes vides!  Je pense donc que les 300 000 habitants de Cluj se parquent pour la plupart dans ces affreux immeubles communistes, limitant le péri-urbanisme ; solution temporaire contre l'accroissement fatale de la masse humaine.
  Autrement dit, il y en pour tous les goûts. La nouvelle culture imposée est certes celle de la techno roumaine et moldave, arrosée de Rihanna dans tous les bars, inondant même les rues étudiantes, mais nous pouvons très rapidement, à n'importe quel moment de la journée, trouver le calme en plein centre ville. Chaque rue diffère de sa voisine, c'est une loi d'aventurier pour qui visite Cluj-Napoca. L'inconnu se rencontre aussi bien pour le bus, où pour une même ligne on peut très bien tomber soit sur un véhicule très moderne, soit sur une antiquité des années 70 vendu par la France (et c'est encore écrit en français sur les portes, haha). Bien qu'à l'instar de ses voisin européens, la Roumanie s'est octroyée une culture quasi-américaine, à la limite de des fèces que l'on savoure sans goût, ce pays n'a rien oublié de son patrimoine religieux. Et c'est une chance! Je n'ai pas la foi, mais j'estime que les pratiques religieuses confèrent plus de sens à la vie d'une personne que nos réminiscences chrétiennes dans la consommation effrénée. Consommation que l'on tente d'incruster dans le cerveau précieux des roumains, au moyen de l’implantation de quelques grandes chaînes industrielles dans la ville comme Auchan, Carrefour, Liddl... colonisation agro-alimentaire typique de presque tous les pays, de nos jours.

Eglise orthodoxe

Cependant, je rappelle que cette ville est faite pour tout type de personne, ainsi les images de femmes en lingerie fine trônant sur des pancartes blafardes ne s'exhibent que dans très peu d'endroits (Iulius Mall, par exemple, qui a parfum très américain, où je ne préfère pas mettre les pieds).

   C'est de cette alchimie bizarre que naît l'atmosphère de Cluj-Napoca, et je me permets d'emprunter le concept à Peter Sloterdijk, car la morphologie de Cluj-Napoca (Clausium = entre les collines) lui confère cette ambiance sphérique, dans laquelle l'amertume peut respirer, pour un ou deux euros, dans la campagne qui lui tend toujours les bras. Mais pour combien de temps encore?

La ville vue du Belvédère
 

                                                  

"Pourquoi la Roumanie?"

Il y a encore six mois, je n'avais aucune idée qu'en cette fin de février, j'allais non pas siroter un café bien chaud dans mon studio; ni lire un livre de Platon, confortablement assis sur un fauteuil dans la campagne ; mais bien écrire ces lignes depuis un chambre perdue, dirait-on d'un point de vue français, en Europe de l'Est, plus précisément Cluj-Napoca, capitale de la Transylvanie.
  Une question peut advenir dans votre esprit, comme elle a été formulée précipitamment par bien des français : "pourquoi la Roumanie?"  Et d'ailleurs, qu'est-ce que Cluj? Diantre, tout le monde connaît Bucarest, du moins sous la forme de nom, si ce n'est que de nom... mais Cluj? Cela sonne un peu faux, avec un air de Clown. Ajoutez-donc "Napoca", et vous aurez la fameuse sauce "Clougenapoka", aux consonances voisines latines et slaves, inconnue des français.
   Etant suffisamment agacé de la France, de ces banlieues qui ne finissent pas de déchirer les campagnes, des gens qui ne savent parler qu'une langue (le langage sms), je décidai de me rendre promptement, un 16 septembre, aux relations internationales, afin de partir, partir n'importe où, pourvu que cela me change de l'ennui à la française. "Vous avez l'Allemagne, l'Angleterre... ce sont de bonnes destinations en philosophie... il y a aussi Italie, Espagne", me dit la très sympathique, belle femme. Après avoir fait la fine bouche, racontant que je préfère partir au Canada, voire faire tout mon master philosophie à l'étranger, elle me répondit :"il y a aussi Pologne, Roumanie...". Je ne mis qu'un jour à prendre ma décision, ayant lu quelques articles sur internet faisant l'éloge de Cluj-Napoca pour sa vie culturelle et étudiante. Plus tard, j'appris par des amis plus qu'intelligents que les roumains sont ouverts, les femmes très belles. Mais ne retomberais-je pas dans les préjugés, si je n'en restais qu'à un stade d'écoute, sans "voir" le terrain?
   

Voici les représentation fausses concernant la Roumanie (il y en a un paquet, donc si tu es franco-français et que tu te penses beau et intelligent parce que tu vis dans le 16ème arrondissement, ou es diplômé(e) de science-po, ou possède deux maisons dans la campagne pour éviter les roms et les arabes, médite sur ces lignes, ou ne reviens jamais (je pense que, tout de même, pour venir sur ce blog, il faut déjà avoir une ouverture d'esprit, qui sait)).
1) Quand un français entend "Transylvanie", il l'associe tout de suite à "Dracula".
2) Les roumains sont des roms/tziganes/gitans (on ne sait plus, de toute façon les médias français s'occupent de remplacer des mots par d'autres).
3) Timisoara est moche parce qu'il y a eu les charnières de Ceausescu.
4) La Roumanie fait partie du Tiers-Monde
5) La Roumanie est un pays pollué.
6) Les Roumains agressent, les roumaines se prostituent, leurs enfants mendient. Et leur grand-mère est magicienne (poussons le préjugé jusqu'au bout).


 Il faut déjà comprendre que les roumains ne sont pas naïfs, car ils sont au courant de tous ces préjugés et se foutent bien de votre gueule pour cette grande raison (et en plus, ils parlent français, donc un peu de respect).
 En un récit détaillé de mon voyage, couplé à une réflexion analytique et critique, je vais tenter d'étudier ces préjugés. Ce n'est pas le seul but de ce blog: en bon étudiant Eramus (la secte, la vraie), je réciterai, comme ces aventuriers qui reviennent du Chiapas, fier d'un carnet rempli de récits extraordinaires, la joie et la compréhension d'un pays qui  a tout à offrir.



"Tant que les gens se plieront à des règles, ce sera la même merde partout dans le monde". Un français sympas de Cluj, en touriste dans la fac d'art.


My lonely tree